Page 13 - Les Peseurs Jurés de Marseille
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“Autant en emporte le vent !”
Voici un peseur juré qui mérite d’être connu et dont la petite fille Catherine Chabaud, a marqué l’histoire de la
voile, en réalisant un authentique exploit, étant la première femme à terminer un tour du monde, sans escale et en
solitaire, et en atteignant les Sables-d’Olonne, après 140 jours passés en mer, lors du Vendée Globe 1996-1997.
“Ce livre m’a fait découvrir la Corporation des Peseurs Jurés du
port de Marseille. Emile Chabaud, mon grand-père, était l’un d’eux.
Comme me l’ont rapporté des peseurs jurés, pour tout le petit monde des
quais, qui le regardait avec respect, Emile était Monsieur Chabaud,
puisque c’était un «Pesadou», un aristocrate des quais, car tels étaient
considérés les peseurs jurés. Le travail de pesage qu’ils effectuaient par
tous les temps, les amenaient souvent à être très proches de la mer.
Comme les autres, Emile n’a cessé d’être caressé par les embruns et
les effluves iodés, qui venaient de la mer. Sur ces quais colorés qu’il arpen-
tait à longueur de journée, coiffé de son feutre à bords roulés, les différents
bateaux, au port d’attache inscrit sur leur coque, étaient une attirance et
une invitation à prendre le large. Emile n’a pas fait de beau et grand voya-
ge, mais peut-être en a-t-il rêvé tout au long de sa vie.
Je n’ai pas connu mon grand-père, mais mon père Jean, qui m’a
transmis sa passion de la mer, m’a souvent parlé de ce père parti trop tôt,
qui lui avait donné cette même passion. Emile aimait la mer sous tous ses
aspects ; pour lui c’était une amie. Très bon nageur, et pêcheur, il n’avait
pas son pareil pour ramasser les oursins et pour attraper les poulpes et les
poissons avec un trident. Il a communiqué à ma grand-mère son amour de
la pêche : elle pouvait rester des heures sur les rochers avec sa canne à la
main, pêchant la soupe pour le soir. Après la guerre, il s’est équipé d’un
masque, d’un tuba et d’un harpon (achetés au stock américain de l’époque)
pour chasser les poissons sous l’eau et a initié son fils Jean à ce sport.
Quand mon père partait chasser, nous, ses quatre enfants, nous le
suivions. Puis il nous a initié à la plongée en bouteilles pour découvrir
autrement les fonds marins.
La pratique de la voile est venue ensuite, comme une nouvelle décou-
verte des joies de la mer. Et c’est la course au large que j’ai choisie.
Ainsi moi, la petite-fille d’Emile, j’ai senti un appel à prendre le
grand large. Cet appel était-il héréditaire? J’ai peut-être réalisé un désir
insatisfait de mon grand-père. Mes traversées de tous les océans,
n’avaient pas qu’une seule motivation, mais cependant ce grand-père, que
je n’ai pas connu, y avait peut-être aussi sa part. Quelle revanche pour
Emile, lui qui n’avait jamais eu la possibilité de partir en haute mer, et
comme il aurait été heureux de suivre sa petite-fille dans ses courses à
l’autre bout du monde.
Mon grand-père, homme généreux et tenace, a élevé ses enfants dans
la rigueur, l’intégrité, la vérité et la ténacité, qualités indispensables à
l’exercice de la profession de peseur juré. Mon père nous a transmis ces
mêmes valeurs qui m’ont soutenues lors de mes courses autour du monde,
mais aussi dans ma vie de tous les jours.
Merci à tous ceux qui ont fait naître ce livre et qui ont participé ainsi
à m’éclairer sur un homme que j’aurais tant aimé connaître et à qui je dois
– indirectement – mon choix de la mer”.
Catherine Chabaud
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