Page 275 - Les Peseurs Jurés de Marseille
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Le téléphone sonne dans la salle du rez-de-chaussée et le standar-
diste me dit : “Monsieur le président vous demande”.
Je monte, frappe à la porte, le président me salue, me demande de
m’asseoir et me dit :
“J’ai votre carnet entre les mains et j’ai bien pris connaissance du
travail que vous avez effectué en fin de semaine; d’abord toutes mes féli-
citations, car vous avez desservi sans faiblir, dans des conditions qui
nécessitaient une endurance et une volonté à toute épreuve, rendant au
commerce un service peu commun; seulement voilà, si nos commettants
avaient pu prévoir ce qui est arrivé et qu’ils commandent trois peseurs en
suivant, j’ai fait le calcul, la facture totale aurait été moins disante, com-
ment vais-je leur expliquer cela, s’ils venaient à se plaindre de cette factu-
re salée (dixit dans le texte), un seul peseur résultant plus cher que trois”.
“Voilà ce que je vous propose : on coupe la poire en deux, mainte-
nant si vous n’êtes pas d’accord, vous pouvez toujours en référer à la com-
mission administrative”.
Un peseur parmi les derniers, contre le président, en 1952, je
connaissais le résultat et j’ai accepté mais ce qui m’a le plus désorienté,
c’est que lorsque je suis sorti de son bureau en faisant triste mine, celui-ci
a cru bon d’ajouter : “Pour un dernier de votre âge, c’est pas si mal” !
Le “calvaire” du peseur juré !
Roland Vela l’a vécu plus d’une fois, comme tant d’autres ; cette opéra-
tion était redoutée car redoutable !
L’opération de pesage la plus redoutée en soi, celle qui était crainte
par tous, était le pesage des sacs de petits piments forts ou langues d’oi-
seaux (capsicum frutescens, origine Malawi).
Non pas qu’elle exigeait des connaissances particulières, mais plu-
tôt qu’elle impliquait, de facto, la présence d’au moins un mouchoir, dans
sa poche.
En effet, le simple fait de soulever un sac pour le peser, et de le repo-
ser à terre, même avec délicatesse, faisait qu’on était pris d’éternuements,
à n’en plus finir.
Le peseur et son porte- romaine souffraient de picotements et subis-
saient une inflammation des muqueuses nasales et des “ atchoums “ à répé-
tition, retentissaient sur le site.
“Cerise sur le gâteau”, à la fin de l’opération de pesage, obligation
étant faite de tarer un sac pour déterminer le poids net des piments, les por-
tefaix, avec grande malice, soi-disant pour bien vider le sac de sa mar-
chandise, secouaient à dessein celui-ci sous votre nez, et les “ atchoums “
redoublaient de plus belle, à la grande satisfaction des intervenants, qui
voyaient là une façon de se moquer quelque peu de l’attitude, certes tou-
jours courtoise, mais parfois assez rigide de certains peseurs.
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